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{Récit, rencontre, paysage} #3

« L’apparenza inganna » (l’apparence est un piège)


Sicile. 2024.

Il me montre, me raconte, dévoile, s’enflamme, questionne.

💭 J’écoute, note, réagis, vais loin dans mes mots, respire, infuse. 

Un détail ici ou là le fait plonger dans ses souvenirs profonds ou plus récents, et l’on tisse ensemble un chemin de pensée au fil de notre échange. 







Sur le port 🐟. 30 ans en arrière. Un réveil très matinal presque autoritaire, traine le petit hors du lit pour suivre son grand-père, en réalité heureux de lui faire vivre bientot quelque chose de fort.

Le broom broom de la voiture les amène au port (le moderne là-bas, tu vois ? À l’époque il était vieux).

Des cris de marin-marchand précipitent avec naturel, le sourire du grand-père et une énorme caisse à l’arrière de la voiture. 

Le petit se retrouve avec des sardines vivantes qui sautent devant ses yeux et sur ses genoux. « Qui dort n’a pas de poisson »

La simplicité de ce matin à l’aube, et l’abondance qui rentre à la cuisine, devant les éclats de rire de la grand-mère : Le grand-père a fait son job. Le petit s’en souvient encore. 

(...)

« Quand j’étais petit, il n’y avait pas tout ces yacht, bars, ces tables et chaises qui prennent toute la place maintenant.»


💭 J’imagine alors fortement ce petit port « trancuilo » et ses quelques chanceux.





En terrasse ☕️ Un cafe restretto por favore !


Un autre vieux monsieur lui aura appris a boire le café sans « l’empoissonner avec du sucre industriel ». Avec son allure de cowboy mafieux d’un autre temps, avec un coup de coude, un regard noir et une phrase bien ferme, me dit-il, son seul objectif était de faire respecter cette tradition et ce goût authentique. ACCEPTED. 

(…)


Dans la maison familiale modeste, les bruits de cuisine font tintiller les premières pensées de la journée. Un air de dolce vitta.


« L’odeur ! Cette odeur…comment on dit déjà, « madeleine de Proust »…! C’est sûr que c’est pas le téléphone qui te réveille mais l’odeur du grain de café moulu qui te sort du lit ! » 


« Le café c’est… mon essence! » (rires) 


« Je suis content de voir des mères venir dans cette pâtisserie avec les enfants avant l’école, ici tout est fait maison et frais, regarde ils ont déjà la bouche pleine et le pâtissier vient voir les client•es pour voir si tout se passe bien. »

(…)


« L’autre jour, cet hiver, je buvais mon café et une scène se déroule sous mes yeux : que des mecs qui sont là toute la journée. Une femme se fait reluquer et fait donc une réflexion « Je ne viendrai plus ici, que des gros machos déguelasses et je dirai à mes copines de ne pas venir. »

Le patron entend cela, et contre toute attente, sort de dernière le bar et se dirige vers les habitués ; « vous dégagez d’ici! C’est hors de question ces comportements! ». Ils ont haussé le ton en menaçant de ne plus venir. Le patron a tenu bon « eh bien tant mieux! Rien à foutre, dehors. »

Avec un large sourire satisfait et étonné j’ai fini mon café. En 2024, tout peut arriver, même ici !? »



Heure de pointe et liberté 🤩

« Ici en Sicile, par précaution et par écho aux années où la mafia était très présente, tu ne sais pas à qui tu t’adresses alors tu te tiens tranquille.

Les femmes et les enfants aussi, sont sur d’etre protégés. Si une violence survient, un gang jusqu’alors discret, peut sortir les muscles et agit.»



💭Tu veux dire que ce n’est pas chacun pour sa gueule alors ? Comme si vous étiez citoyen et garant du cadre commun finalement ? Ça me plait assez bien comme idée. 

Je soupire. C’est pas mal aussi parfois, les méthodes un peu basiques. Et si c’était aussi une forme de soin après tout ? 

Et je repense soudain aux règlements de compte de cet immeuble qui a brulé sans faire la une des journaux. Glups. Je ne sais pas. 



Les arbres 🌴

C’est sublime ici. Les couleurs, les essences. On fait le grand tour le long de la mer et en hauteur à flanc de montagne. 


« Je pense qu’ils ont peur de vivre ici les gens. Tu as vu il n’y a pas beaucoup de maisons dans la réserve naturelle. 

L’année dernière c’était l’enfer!

Mon dieu les flammes que j’ai vu…immenses et partout. 

Si on n’avait pas eu ces incendies, j’aurais dut voir de grands arbres…

Bon… ça reprend un peu mais bon… »








💭 Je n’ai pas compté les arbres calcinés et morts le long des sentiers, dans la lumière du matin j’ai tenté de les prendre en photo pour les admirer. J’ai songé que tout ce qu’il reste après les drames peut aussi disparaître plus vite qu’on ne le pense. J’ai marché en silence. 











La musique ✨

« J’ai tous les albums en vinyles. Jean Michel Jarre par exemple. 

J’écoute. Fort. Souvent. Longtemps.

C’est intime: parfois les gens me prennent pour un fou, ne s’attendent pas que je puisse écouter tel ou telle artiste. 

C’est un partenaire de vie. 

C’est peut-être ce qui m’a sauvé.


Un jour, dans ce lieu, c’était presque mystique. On sent le poids de la Terre.

Cette ville a été anéantie par un tremblement de terre dans les années 60.

Le client voulait que les gens puissent méditer ou se recueillir mais sans que cela soit trop triste.

Ça s’appelait « Mare festival » ; je lui propose donc de créer une musique à partir de sons naturels. J’ai voulu honorer ça. À 6h du mat j’enregistre les sons de la mer, puis arrive le jour du concert.

Les officiels de la culture étaient mal à l’aise voire sceptiques de notre matos électronique dans un lieu historique. Sans nous connaître…

Mon groupe « Apocalypse Vagina » est né comme ça, lors de ce concert, par cette magie. De faire le lien entre la naissance et la fin d’un son, (d’un monde ?)

Tout le monde était ému, les officiels avec, et le maire super content !




Plus tard, on a été l’un des seuls groupes à jouer dans un temple connu, lieu mythique car il y a des milliers d’années, des gens l’ont défendu jusqu’à la mort. Tu te rends compte ?

(…)


En France, y’a du choix musical, même aujourd’hui, et y'a des artistes femmes de ouf aussi qui font de la musique qui cassent les codes ! 

Quand j’étais petit, dans le répertoire italien y’avait des chansons qui t’arrachaient le coeur mais ils sont à la retraite, ils n’ont plus la voix.

Je pense à Riccardo Cocciante, Adriano Celentano…

Ici en Italie la nouvelle scène, c’est du suicide…

Tu vois cette voix auto tune

De la trap de merde

Du rap de mes couilles… »

(Rires) 



La France, un modèle ? Les liens du coeur ! ❤️

« En Sicile, si on avait eu des règles on aurait pu être le plus beau pays du monde!

(…) les français aiment l’Italie car on mange bien et que c’est la dolce vitta. Nous on aime la France car c'est un pays qui a des valeurs, du travail et de la liberté d’expression »


Quand ma mère était petite ici, y’avait les charrettes, les chevaux, le troc, la vie saine. (…)

Aujourd’hui, avec toutes ces tensions dans ma famille, je suis tombé de haut en rentrant en Sicile. Après 13 ans en France, maintenant je sais que le décalage de vision est énorme et je me dis simplement « T’aime faire du tord à ceux qui t’ont fait du bien ? Alors reste tout seul va ….! » (…)



J’ai l’impression d’avoir donné une vie à l’Italie et elle ne m’a pas écouté. 

Tout le monde ici essaye de s’échapper mais il a du mal, il est rattaché par le cordon. Si tu pars tu n’as pas de soutien financier ni moral. 


Il y a un enjeu pour nous, les fils, à éduquer les parents.

Votre chance en France c’est que vos parents vous comprennent. Mentalement, ils se projettent avec toi. 

(…)




À l’époque, moi j’ai tellement insisté que ma mère (française mais toute sa vie ici) m’a dit dégage (avec bienveillance!) C’est ce qui m’a sauvé ! 

Je me suis donné dans la connaissance de la France. Je parlais un peu français. Et j’ai rencontré des personnes extraordinaires. L’école que j’ai faite m’a ouvert des portes inoubliables. 

(…) 


Dans l’absolu, aujourd’hui oui j’ai envie d’aller vivre à Marseille, ça ressemble à ici mais avec une vraie mixité et une mentalité qui me parlent. Dans mon métier aussi ! Tu sais ici cela prendra trop de temps avant que je puisse vivre dignement car les gens auront compris. Et pourtant le besoin est très présent, des femmes et des enfants en souffrance j’en reçois des dizaines dans mon cabinet.


En France c'est niquel, tu sais…!

J’en apprend plus avec toi sur ce qu’il se passe qu’en étant ici. »




💭 Je soupire encore plus fort.

Mon pays semble profondément inspirer, questionner, bousculer, ouvrir des voies, faire bouger. 


La "mentalité" française est adoubée, comme une issue de secours. 


Or, aujourd’hui et depuis des mois, c’est comme si j’étais porteuse d’une série de mauvaises nouvelles dont je ne pouvais pas vraiment délivrer la puissance. 


Qui suis-je pour casser les rêves ? Qui suis-je pour dresser un tableau catastrophe alors que le Beau reste très présent et visible ? Qui suis-je pour tirer la sonnette d’alarme sur des faits scientifiques avérés alors qu’en marge, ça bouge un peu quand même dans un sens plus humain et que "là-haut" on s'amuse à nous diviser ? Qui suis-je pour affirmer que la démocratie en France est bel et bien en train de mourir ? Que l’Histoire ne sert visiblement à rien, que le traitement préventif est bafoué, que les conséquences et le curatif vont nous coûter de plus en plus cher, et que tout est lié, sur la scène européenne, internationale… et planétaire !? 


Tous les chiffres et visages se mélangent ; minorités, riches, gros porcs, injustices, militants, complices, morts, ignorants…ni gentils ni méchants. Vraiment ? Chacun•e dans sa réalité. J’ai la nausée, envie de pleurer, tout en sachant que je ne renoncerai jamais à ce qui me semble juste, mais je n’aime pas mentir… 






Je reste avec ces questions de fond aussi…


Comment peut-on honorer les ancien•nes ? Pas celleux qui ont perpétué la souffrance qui contrôle et oppresse mais celleux qui ont tenu bon grâce aux essentiels, aux petits bonheurs de la vie simple et qui soutiennent ta soif d’un monde meilleur ?


Comment peut-on se relier à des ami•es, le temps de notre vie, qui nourrissent notre ouverture d’esprit et nos prises de risques ? 



7 jours. 1 équinoxe. Des vies entières. ✨

Sans se le dire, nous célébrons ces 10 ans d’amitié et à notre façon, les liens possibles entre deux univers, entre un homme et une femme aussi, loin des clichés, des pièges et des attentes, avec caractère et finesse, comme un doigt d’honneur aux regards frustrés, un doigt d’honneur à ce qu’on pourrait attendre de nous, comme un clin d’oeil à notre génération éveillée, désaccordée ou sacrifiée, qui oeuvre à nos si petits niveaux pour ouvrir sa gueule, pour faire bouger les imaginaires et les corps, et incarner des rêves conscients, rock n roll et désirables ! N’est-ce pas le cas de poignées de personnes, à chaque époque ?



Heureusement que si… sinon même l’espoir serait définitivement mort. 



Ce récit-paysage pour souligner les dissonances et les claques invisibles que l’on se prend dans la gueule, à tout âge. 

Ce récit-paysage pour rappeler que l’équilibre est fragile, que malgré les injonctions oui les rêves peuvent briller parfois moins fort. 

Ce récit-paysage pour souligner les contrastes de la vie, les choix à faire et les difficultés d’être sensible dans une époque globalement sourde.

Ce récit-paysage parce que c’est parfois dur d’être qui on est, face et avec l’autre, et que l’on met parfois une vie à trouver ses espaces, ses alliés et ses réels adversaires. 


Tenez bon, là où vous êtes.



PS :🖕Pour les lieux explorés, je ne peux m’engager à vous délivrer le moindre nom, car ne vous méprenez pas, je ne suis pas une influenceuse qui vous encouragerait à aller faire votre photo filtrée. La curiosité, le risque, l’écoute et la confiance ne sont pas un dût mais se cultivent… et je ne participerai pas à la course effrénée des enfants pourris gâtés qui consomment au lieu de préserver…merci de votre compréhension. Nah! 🤣



 



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Mémo.

C'est quoi {Récit, rencontre, paysage} ?

De brefs extraits de conversations au fil de mes explorations dans les coins reculés...paumés ? sensés ?  contrastés ? exploités ? isolés ? heureux ?


La terre, la bouffe, la robustesse, les humains qui oeuvrent et réfléchissent.


Loin des clichés et des discours ; rencontrer.



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